Affiche de Community

Ancien avocat radié du barreau pour avoir falsifié son diplôme, Jeff Winger se retrouve à reprendre ses études dans le community college du coin. Il va y faire la rencontre de Britta, Abed, Shirley, Annie, Troy et Pierce, avec qui il va former un groupe de révision et vivre des aventures déjantées.

Commençons par le plus simple, mais aussi le plus important : Community est l’une des meilleurs sitcoms qui soit, et probablement ma préférée. Les personnages sont attachants et divers sans que cela soit forcé, l’humour touche toujours juste et reste moderne encore à ce jour, et l’émotion est au rendez-vous. Plus important encore, comme toute bonne sitcom, elle permet au spectateur de se sentir totalement investi dans le groupe qu’elle présente, et l’invite même à faire partie de la bande. Sur ce point d’ailleurs, je ne pense pas que la place vide à côté de Jeff dans leur salle de révision soit là sans raison, c’est à mon sens une réelle invitation pour le spectateur à s’asseoir à la table des héros.

Mais l’une des particularités de Community qui fait beaucoup de son sel provient sans doute de son jeu constant des codes télévisuels, de sa propension à faire plus ou moins subtilement référence à la pop-culture et de ses parodies mythiques de pratiquement tous les genres. On pourrait en ce sens facilement penser à une autre série estampillée “geek” en vogue de l’époque, The Big Bang Theory (allant jusqu’à comparer Sheldon à Abed), mais outre le fait que je pense que Community est beaucoup plus intelligente et respectueuse de son public, je suis également de l’avis qu’un ingrédient crucial la différencie : son utilisation généreuse de la méta-référence.

“Méta-pas bientôt fini oui ?”

Community utilise en effet avec brio ce qu’on appelle communément “le méta”, une forme de narration qui a gagné énormément en popularité cette dernière décennie. Le méta découle, et donc se rapproche, du courant postmoderne, dans lequel la réflexion sur le médium et la notion même de fiction prend souvent le pas sur une narration plus traditionnelle. La volonté de bousculer les codes et d’en commenter les poncifs s’est ensuite retrouvée diluée dans la culture populaire, prenant par la même occasion le préfixe de “méta”.

Si par exemple briser le 4ème mur comme le font Ferris Bueller et Deadpool est l’exemple le plus criant de méta que l’on puisse imaginer, ce n’est pas le seul. Ainsi, lorsqu’un moment normalement dramatique se termine en blague dans un Marvel, à l’instar de Bruce Banner qui s’écrase lamentablement au moment du combat final au lieu de se transformer en Hulk dans Thor : Ragnarok, ou lorsqu’un réalisateur s’adresse “subtilement” au spectateur à travers un personnage, comme lorsque Snoke insulte le casque de Kylo Ren et le traite d’adolescent colérique dans The Last Jedi, on est devant des exemples de films qui utilisent la connaissance innée du spectateur des codes narratifs (comme Marvel) et des débats entourant l’oeuvre même (pour Star Wars) pour susciter une émotion. De même, lorsqu’Abed refait le film My dinner with André, lorsque Jeff s’exclame “okay, we’re doing a bottle episode1 !” ou encore lorsque la série se moque ouvertement de Glee ou New York : Police Judiciaire, on est face à une forme de méta. Parodie, pastiche, brisure du 4ème mur sont autant de procédés que l’on pourrait mettre sous la même catégorie de narration.

Je dois vous avouer quelque chose : je pensais jusqu’à Community que le méta ne m’intéressait plus énormément, que j’étais passé à autre chose. Là où l’esprit de transgression était censé conduire les codes vers des nouveaux territoires, c’est devenu aujourd’hui un lieu commun. Utilisé pour faire rire, le méta ne vole souvent pas bien haut et se résume souvent à un réalisateur criant “eh, regardez, j’aime / n’aime pas les mêmes choses que vous !”, comme si cela suffisait pour créer une complicité entre le public et le film. Utilisé pour faire réfléchir au médium, on se retrouve souvent devant un enchaînement de scènes vues et revues qui n’ont plus rien de transgressif (oui, je te regarde droit dans les yeux The Dead Don’t Die). Le procédé est paresseux, utilisé à tort et à travers (pratiquement toutes les grosses productions grand public en ont une certaine dose), et permet au film de s’éviter toute réflexion en faisant passer cela pour un geste de bravoure permettant de “ne pas tomber dans les clichés”. De fait, je trouve qu’assumer son histoire au premier degré donne souvent plus de poids et d’émotion, même si on prend le risque de se faire traiter de niaiserie.

Oui mais voilà, j’adore l’utilisation du méta dans Community. Sur ce point, la série n’est évidemment pas exempte de défauts (les blagues sur la médiocrité de la saison 4 ne me font pas vraiment rire, car je la trouve à bien des aspects aussi solide que les autres, et j’y vois plus une manifestation de l’égo de Dan Harmon, injustement évincé de sa série pendant la quatrième saison), mais elle arrive à rester fraîche et intelligente dans son utilisation du méta.

The Greendale 7 et leur professeur d’espagnol.

The Greendale 7 et leur professeur d’espagnol.

Le méta pour transcender les codes

Le génie de Community réside dans le fait qu’elle n’utilise pas le méta pour casser les codes, ou pour en exposer leurs faiblesses, mais au contraire pour pouvoir en utiliser tout le potentiel narratif. Prenons par exemple le 21ème épisode de la saison 2, Paradigme de la mémoire. Celui-ci se moque des sitcoms “à l’ancienne” et de leurs classiques épisodes clip shows, qui permettent de recycler à bas coût des vieilles images en donnant comme prétexte des personnages se remémorant des moments marquants. On y voit en effet des images de péripéties et d’aventures qui semblent sortis de vieux épisodes, mais qui sont en fait des images tout à fait inédites. Cet épisode marche à deux niveaux : non seulement il se moque d’un procédé classique de sitcom en le retournant pour faire rire le spectateur, mais il se paie également le luxe de décortiquer le fonctionnement narratif de tout épisode “classique” de Community, qui se termine par exemple toujours ou presque par un discours de Jeff. S’il est présenté sous forme de pique (le discours de Jeff n’a en grande partie ni queue ni tête, étant l’amalgame de plusieurs moments), ce dernier ne se conclut pas par une blague, mais bien par de l’émotion, à savoir la réconciliation du groupe – classique procédé de sitcom.

Cela peut sembler subtil, mais je pense que l’une des clés qui rend les personnages si attachants est ce jeu constant avec le méta. Cet équilibre entre réflexion sur les codes et procédés classiques est en effet crucial : le méta permet de ne (presque) jamais tomber dans le cliché et d’offrir des histoires neuves, tout en gardant la familiarité chaleureuse des sitcoms à travers son utilisation intelligente des procédés classiques plus profonds. C’est pourquoi l’utilisation de la pop-culture par Abed et sa lubie de se croire (de se savoir ?) dans une série rend son personnage proche du spectateur et attachant, mais que le même procédé tient plus du gimmick chez Sheldon.

Il est intéressant de voir ce que Dan Harmon a gardé dans l’autre série culte qu’il a co-créée par la suite, Rick et Morty. L’utilisation du méta y est bien plus intense, et les codes qu’il permet de souligner sont ceux de la science-fiction plutôt que de la sitcom : à première vue, on dirait que chaque aventure explose les codes du genre de façon tout à fait géniale, mais finalement s’appuie sur les codes plus profonds pour garder une trame narrative classique.

Ce sont donc deux séries que je recommanderais chaudement si vous aimez le méta, ou au contraire si vous pensez que ça ne peut rien apporter de bon – vous pourriez être surpris. Je préfère personnellement Community, qui se repose moins sur le méta et plus sur ses personnages, mais si vous n’êtes pas fan de sitcom et que vous aimez la science-fiction, vous pencherez probablement plus vers Rick et Morty. Pour ma part, vous me trouverez probablement dans la group study room F aux côtés de Jeff, Britta, Abed, Shirley, Annie, Troy et Pierce. Après tout, comme dans toute bonne sitcom, je fais partie du groupe !


  1. Un bottle episode (ou épisode bouteille) est un procédé classique de série télé consistant à faire un épisode restreint à un lieu et une unité de temps, parfois pour des raisons artistiques, souvent pour des raisons budgétaires. ↩︎